Les élections en Turquie

Souvent on entend cette phrase journalistique : « les élections vont avoir lieu, sur fond de guerre ». Pour les mois qui viennent en Turquie, la phrase doit être modifiée : « la guerre va avoir lieu, sur fond d’élections ».

Des élections législatives ont eu lieu en Turquie en juin dernier. Le président Erdogan, avec son parti, l’AKP, souhaitait avoir une majorité très forte pour pouvoir changer la constitution dans le but de créer un régime présidentiel encore plus fort (reconstruire le sultanat disent les mauvaises langues). Son concurrent habituel, le CHP (de tradition républicaine Kémaliste) n’était pas en mesure de lui ravir la première place. Cependant, deux autres partis pouvaient diminuer les scores de l’AKP : le MHP (parti d’extrême-droite ultra-nationaliste) et le nouveau venu HDP. Aucun autre parti ne semblait devoir dépasser les 10% qui sont requis pour entrer au parlement.

hdp-meeting

Le HDP (Parti Démocratique des Peuples) a été formé après un processus de construction de plus de 6 ans sur la base de la réunion de nombreuses revendications. Il reconnaît la place de tout groupe ou individu quelles que soient sa « langue, sa religion, sa couleur, sa race ou sa différence sexuelle », en particulier des « travailleurs, des ouvriers, des paysans, des petits commerçants, des retraités, des femmes, des jeunes, des intellectuels, des artistes, des personnes LGBT, des handicapés, des opprimés et des exploités », « de quelque nation, langue, ethnicité qu’ils fussent », dans un monde « équitable, libre, humain et juste ». Une des composantes du HDP est un parti kurde (le BDP) mais les élections ont montré qu’avec 13% des voix nationalement et de très bons résultats dans un certain nombre de villes non kurdes, le HDP a largement dépassé l’électorat « régional/kurde ». Dans le HDP sont également intégrés des petits partis de gauche ainsi que le parti écologiste turc.

A l’issue des élections, Erdogan s’est trouvé avec un parlement auquel il manquait 16 députés à l’AKP pour avoir une majorité absolue…. Ne pouvant faire aucune alliance de gouvernement avec aucun des trois autres partis, il s’est dit : que vais-je faire ? Bon sang, mais c’est bien sûr : la guerre aux Kurdes ! Et ensuite de nouvelles élections !

Il faut savoir que, dans les préoccupations du pouvoir turc, la « menace » de Daesh vient largement au second plan par rapport à la volonté forte qu’aucune autonomie ne soit accordée aux Kurdes sur le territoire turc. Ainsi, Erdogan soutient Daesh, au moins par passivité à son égard, car c’est son meilleur allié contre les Kurdes. Souvenons-nous du siège par Daesh de la ville de Kobané, en Syrie, il y a un an, quand la Turquie empêchait des combattants kurdes de Turquie d’aller aider les assiégés, mais laissait passer des combattants pour aller aider Daesh… La ville a été sauvée grâce notamment à de remarquables femmes combattantes kurdes et à l’aide, tardive mais réelle, de plusieurs pays occidentaux qui ont effectué des bombardements contre Daesh.
Actuellement, en apparence, le pouvoir turc s’attaque « enfin » à Daesh. En réalité, le nombre d’attaques contre le PKK et plus largement contre les Kurdes, ces dernières semaines, est beaucoup plus important que contre Daesh, comme si ce dernier était un alibi pour s’attaquer aux Kurdes. Cette violence a commencé après un attentat en juillet à la frontière syrienne, attentat qui a tué une trentaine de jeunes Kurdes de gauche lors d’une réunion consacrée à l’aide à donner aux Kurdes de Syrie. La passivité de la police et l’attitude ambiguë du pouvoir turc ont conduit certains Kurdes à tuer des policiers, d’où une spirale infernale dans laquelle Erdogan essaie d’emporter le HDP. Il compte sur des attaques multiples contre les Kurdes pour deux objectifs : les affaiblir et les pousser à la faute politique. Or, le HDP continue à prôner la paix et envisage les prochaines élections en affichant la sérénité, malgré les nombreuses violences physiques dont sont victimes ses militants et ses locaux.

Les sondages montrent que pour l’instant, le HDP ne baisse pas et se maintient à son score de juin. Il est vraisemblable que l’AKP baisse un peu. On ne peut rien dire du CHP (kémaliste), mais le MHP (extrême-droite ultra-nationaliste) va sans doute monter. Après avoir essayé de gagner les élections en redémarrant la guerre au Kurdistan, que va faire Erdogan s’il n’obtient pas cette fois encore la majorité absolue pour faire voter un régime présidentiel ? Car la conjoncture économique de son pays est très incertaine, l’importante croissance des dernières années a stoppé net et les endettements forts qui ont permis cette croissance surgissent soudain de façon menaçante. Erdogan va-t-il comprendre que son temps est maintenant passé avant d’avoir massacré tout un peuple ?

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