Clamart face à Paulette Nardal et son « salon littéraire »

Le grand public Clamartois a découvert le nom et le visage de Paulette Nardal lors de l’exposition « Clamart en personne » en septembre 2016. Pourtant, depuis le milieu des années 1990[1], dans la francophonie et le monde anglo-saxon, son souvenir est associé à Clamart où elle tint ce que l’on a nommé « Un café littéraire ».

En 1920, une institutrice martiniquaise de 24 ans, petite fille d’un esclave affranchi, s’inscrit à la Sorbonne où elle est la première femme noire, pour poursuivre des études d’anglais. Un peu après, elle s’installe à Clamart avec certaines de ses 6 sœurs au 7 rue Hébert au moins une quinzaine d’années. La proximité de la gare lui permet à prix abordable d’avoir, en plus de ses études, une riche vie parisienne. Elle s’investit vite dans la vie intellectuelle et culturelle mais aussi dans la vague déferlante de la musique négro américaine et des bals « nègres », au son du charleston et du jazz. Rapidement, le dimanche après-midi elle réunit chez elle et ses sœurs, parents, amis et habitués, autour d’un piano, de poèmes de toutes les Antilles, de nouvelles ou de chorales improvisées de blues et spirituals, mais aussi de discussions sur l’actualité, les problèmes coloniaux et interraciaux et sur le sort des gens de couleurs.

Son agrégation en poche, devenue journaliste bilingue, le cercle d’étudiants et intellectuels de l’aire antillaise va être rejoint par de nombreux horizons du monde noir présents alors à Paris. Par la génération d’avant avec l’homme politique guyanais Félix Eboué administrateur en Afrique équatoriale française puis en Guadeloupe et par l’écrivain martiniquais d’origine guyanaise, René Maran, premier Français noir à recevoir le prix Goncourt 1921 pour son roman   Batouala[2] , qui dénonce certains excès du colonialisme. Mais aussi par la génération d’après avec le Sénégalais Léopold Senghor, et Aimé Césaire qui lui ne vint que rarement.  De plus « le Salon » accueille des intellectuels noirs américains de passage ou en exil temporaire

En 1931, avec l’écrivain haïtien Léo Sajous elle fonde La Revue du Monde Noir, porte-voix des nombreux participants de ce salon, dont chaque texte est écrit en version bilingue. Alors que, dans le bois de Vincennes, l’exposition coloniale bat son plein, que les badauds se pressent pour voir des indigènes enfermés derrière des grilles comme du bétail, cette revue retentit comme un cri d’affirmation de dignité de l’homme noir qui fait partie à égalité du genre humain, rompant avec les liens d’infériorité. Ces intellectuels entendent montrer qu’ils maîtrisent aussi bien l’excellence culturelle que les occidentaux. Les articles sont des poèmes, des nouvelles, des études d’ethnologie, de défense de l’histoire et de l’art des noirs disséminées dans les colonies européennes ou en Amérique du nord. Elle apporte un cinglant démenti à la propagande qui justifiait la colonisation ou l’esclavage par l’arriération du « nègre ». La revue, pour des raisons économiques disparut en 1932 après 6 numéros. Mais elle a donné l’élan aux revues suivantes où Senghor et Césaire créèrent le courant de la négritude, dont P. Nardal est considérée aujourd’hui, comme une importante inspiratrice.

Il est difficile de savoir à quelle période le salon pris fin, et quand elle quitta Clamart.  En plus de ses activités de journaliste qu’elle poursuit une grande partie de sa vie, elle s’investit après sa revue dans l’action politique. Elle devient attachée parlementaire de deux députés français noirs, un martiniquais et un sénégalais. Elle se rend au Sénégal en 1937, se mobilise contre l’invasion de l’Ethiopie par l’Italien Mussolini un an plus tard. Fin 1939, entre la France et la Martinique, son bateau fut coulé par un sous-marin allemand. Elle resta invalide souffrant des deux jambes toute sa vie.  De retour – définitif – dans son île, alors dirigée par l’administration vichyste, elle continua la lutte. Elle facilita le passage de jeunes patriotes désireux de se battre contre le racisme hitlérien vers les Antilles anglophones en leur transmettant des rudiments d’anglais. En 1944, elle travaille quelques temps aux Nations unies, à New York, mais sa santé la contraint à retourner s’installer en Martinique.

Son action se tourna alors vers l’amélioration de la condition des martiniquaises. Déjà dans un article du n° 6 de La Revue du Monde Noir, sa sensibilité féministe perce. Elle constate que la condition sociale des femmes noires entrave leur engagement, alors qu’elles sont motrices dans les relations de solidarité qui renforce la reconquête de la dignité des noirs. Elle crée, en 1945, le Rassemblement Féminin, pour inciter les femmes à prendre leur avenir en main, à se servir du droit de vote qui vient tout récemment de leur être accordé. Trois ans plus tard, elle lance une nouvelle revue « La femme dans la cité ». Elle se bat pour la construction de crèches en Martinique, cherche des moyens d’aider financièrement les filles-mères. Dans le même temps elle continue la défense de la culture populaire noire. En1948, pour la célébration du centenaire de l’abolition de l’Esclavage, elle rédige une histoire de la tradition musicale des campagnes martiniquaises. Elle anime jusqu’à la fin de sa vie une chorale de chants du folklore et des poètes martiniquais.  Elle raccompagnait, dit-on, ses visiteurs par cette formule d’encouragement à la fierté qui fit le tour du monde, « black is beautiful ! »

Les Clamartois ont appris son nom l’année où dans le reste du monde de nombreuses manifestations, souvent festives, se sont tenues pour les 120 ans de sa naissance.  Il n’est pas trop tard pour que notre ville s’honore en célébrant le long séjour de cette femme hors du commun au 7 rue Hébert.

 

Charles Onzenac, 14 mai 2017
Initiative pour une histoire du Clamart populaire
Initiative pour un hommage de Clamart à Paulette Nardal

[1] Ce regain d’intérêt coïncide avec la publication par les éditions Jean Michel Placé d’un volume des 6 n° de la revue. La préface du dernier survivant de ce cercle, donne de nombreux renseignements sur ce milieu qu’il nomme « le salon de Clamart », expression reprise un peu partout depuis. On peut consulter ce volume sur Gallica.

[2] Ouvrage réédité aujourd’hui.

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19 réponses à Clamart face à Paulette Nardal et son « salon littéraire »

  1. Lesseur dit :

    Merci pour cet article.Je suis intéressée.Envisagez-vous de donner suite à Clamart?D.Lesseur

  2. Lesseur dit :

    J’ai envoyé un message. Très intéressée.aimerai une suite.

  3. annarumma dit :

    dommage de ne pas donner le nom de cette femme d’exception à une école. Peut-être n’est-il pas trop tard pour le nouvelles constructions?

  4. Claire Latreille dit :

    Très intéressant, merci beaucoup pour cet article !
    A quand une rue Paulette Nardal à Clamart ? Un nom de femme, et noire, ça ne court pas les rues…

    • CCadminWP dit :

      C’est le cas de le dire !
      Voilà une autre suggestion, tout aussi pertinente.
      Comptez sur nous pour faire connaître cette proposition auprès de la mairie.

  5. Moreau dit :

    Bonjour
    Belle découverte pour moi vieux clamartois avec une petite origine paternelle en Martinique qui travaille sur l ‘histoire des Antilles mais …au XVI siècle
    Jean-Pierre Moreau

  6. GROLLEMUND Philippe dit :

    Il faut se réjouir que la Ville de Clamart envisage de donner le nom de Paulette Nardal à une de ses rues.Au moment où paraissent « Fiertés de femme noire » Entretiens Mémoires de Paulette Nardal que j’ai pu faire publier aux éditions L’Harmattan en janvier 2019.

    • CCadminWP dit :

      Les entretiens-mémoire que vous avez tenus avec Paulette Nardal permettent d’accéder intimement à sa pensée et par sa voix même au récit de ses souvenirs.
      Que Clamart attribue aujourd’hui son nom à une rue, et pallie à sa reconnaissance tardive au moment où sont publiées « Fiertés de femme noire » est le signe que Paulette Nardal est en train de sortir de l’oubli.
      Oubli injuste du rôle majeur de penseure de la Négritude dont se sont appropriés la paternité, les brillants Césaire, Damas, Senghor !
      Réaliser que Clamart, grâce aux échanges littéraires et intellectuels du 7 rue Hébert est hissée au rang de « Capitale de l’Internationalisme noir de l’entre-deux-guerres » est stupéfiant !
      Espérons que vous puissiez présenter les « »Fiertés de femme noire – Entretiens-Mémoires » prochainement à Clamart pour que nous continuions à mieux connaître la personnalité multiple de Paulette Nardal.
      Flora Nacache

  7. Madame
    Suite à nore rencontre à Paris en avril dernier, j’ai le plaisir de vous faire parvenir le site internet que j’ai créé où il est largement question le livre des mémoires de Paulette Nardal .Voir la rubrique évènements.
    Cordialement
    PhG

  8. Paulette Nardal, avec certaines de ses soeurs, s’entoura d’une équipe de rédaction pour créer et animer « La Revue du Monde Noir ». Son cousin germain Louis Thomas Achille (1909-1994) fit partie des rédacteurs et préfaça sa réédition en 1992 aux éditions Jean-Michel Place.
    Les descendants de Louis Thomas Achille ont créé un site Internet évoquant son parcours, y compris son lien avec ses cousines Nardal :louisthomasachille.com
    On y trouvera entre autres le compte-rendu de l’inauguration à Paris 14° le 31 août 2019 de la Promenade Jane et Paulette Nardal :
    https://louisthomasachille.com/non-classe/inauguration-de-la-promenade-paulette-et-jane-nardal-a-paris-14e
    Par ailleurs, le conseil municipal de la ville de Lyon a décidé le 28 mai 2018 de donner le nom de « Louis Thomas Achille » à une future voie du quartier de la Confluence dans le 2° arrondissement :
    https://louisthomasachille.com/une-rue-louis-thomas-achille-a-la-confluence-lyon-2-france
    En ces temps agités qui questionnent l’histoire sous l’effet de faits tragiques et inacceptables, l’inscription de figures noires dans la toponymie de nos villes de l’hexagone offre un élargissement du regard de manière pérenne.
    Jean-Louis Achille, deuxième fils de Louis Thomas ACHILLE, webmestre du site louisthomasachille.com

  9. Très bel article de Benoît Hopquin le week-end dernier dans le n° 513 de « M, magazine du Monde » : Les sœurs Nardal, aux avant-postes de la cause noire
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/07/16/les-s-urs-nardal-aux-avant-postes-de-la-cause-noire_6088490_4500055.html
    On peut voir aussi :
    LE « SALON NARDAL », TOUT UN MONDE – L’événement
    ainsi que d’autres publications :
    https://louisthomasachille.com/nardal/une-premiere-moisson

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