Le dépérissement programmé des prud’hommes

On peut s’interroger sur cette offensive qui accuse le droit du travail d’être un obstacle à la résorption du chômage et à la bonne marche des entreprises. Derrière les intentions affichées de la réforme des prud’hommes « de favoriser la résolution des litiges à l’amiable, de réduire la durée des procédures », il s’agit de rendre plus inaccessible la justice, dans le but de faire des économies.

Tout d’abord la réforme du 6 août 2015 et les ordonnances du 22 septembre 2017.

Les CPH (conseils de prud’hommes) étaient élus (les fameuses élections prud’homales) ; ils sont dorénavant désignés. Le MEDEF dénonçait une pratique qui lui faisait rémunérer le déplacement des électeurs aux urnes : l’État l’en dispense…

Démarrons par la saisine. Elle nécessite le dépôt d’une « requête » obligatoire sous forme d’un formulaire (simplifié hier, 7 pages aujourd’hui) avec l’exposé des motifs, les pièces du demandeur avec bordereau de pièces, le tout en plusieurs exemplaires. Cette démarche nécessite le plus souvent la présence d’un avocat. C’est une puissante dissuasion pour les salariés, qui n’ont pas toujours les moyens financiers nécessaires et qui sont rebutés par leur faible connaissance du monde judiciaire.

Les préjudices avérés. Dorénavant, la réparation des préjudices est limitée par un barème indépassable. Une faute ou trois fautes débouchent sur le même montant de réparation lorsque le seuil maximum est atteint. Ainsi, l’employeur peut désormais provisionner à l’avance le préjudice qu’il fera subir au salarié. Pour la première fois, un préjudice ne sera pas forcément réparé à sa juste mesure !

Ce plafonnement des indemnités est un des aspects les plus problématiques de ce texte puisque si les juges ne peuvent plus apprécier le montant d’un préjudice alors pourquoi avoir recours à la justice ?! C’est d’ailleurs bien ce que viennent de trancher des juges de Troyes*.  L’esprit de cette réforme s’inscrit donc, au-delà des éléments déjà présents dans le texte, dans une perspective contraire au droit et dans ce cas à l’idée même de justice (principe de réparation selon le préjudice réellement subi).

Les délais. Ils se réduisent comme peau de chagrin : de 30 ans, ils ont été ramenés à 5 ans en juin 2008, puis à 2 ans en 2013 pour arriver, avec les ordonnances de 2017, à 1 an pour une action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Les délais sont de 6 mois pour la contestation d’un solde de tout compte, et de 15 jours pour demander des précisions à l’employeur sur le motif du licenciement. En pratique, un salarié peut n’avoir connaissance des motifs précis de son licenciement qu’un mois après sa notification… Passés ces délais, c’est fini ! Cette réforme dissuade tous ceux qui auront besoin de temps, ou d’informations avant de se décider à engager des frais de justice.

La carte judiciaire. A cela s’ajoute la réorganisation de la carte judiciaire de 2010 qui a vu la suppression de 62 conseils de prud’hommes, éloignant physiquement les justiciables de l’accès à leurs droits. Moins de Conseillers pour raccourcir les délais. Vous avez dit « contradiction » ?

Conséquences ?

Le résultat escompté ne s’est pas fait attendre.

En volume, les recours sont passés de 184 343 en 2015 à 149 806 en 2016, pour finalement tomber à 127 000 en 2017. CQFD ! Entre 40 % et 50 % de dossiers en moins au premier trimestre 2017 au Conseil des prud’hommes de Roubaix, 41 % à Paris, plus de 30 % à Bobigny et 40 % à Lyon. Un phénomène amplifié pour les référés : moins 47 % à Paris au premier trimestre, moins 50 % à Lyon.

Après la fermeture des tribunaux d’instance, les prud’hommes sont dans la ligne de tir…

*Suivis par les juges d’Amiens et Lyon (*2) !

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