Nuit Debout : un phénomène qui nous échappe, et c’est tant mieux !

Il y a eu les mobilisations du Printemps arabe, les Indignés et Podemos en Espagne, Occupy Wall Street et les 99 % à New York, les manifestations de la place Taksim à Istanbul… Et maintenant, Nuit Debout en France. Si tous ont des points communs, chacun est spécifique et difficile à appréhender.

Le traitement des medias les plus influents à propos de Nuit Debout est à cet égard assez significatif. On en retient le spectaculaire, les incidents… Mais qui dit ce qui ressort de toutes ces nuits d’échanges avec des milliers de participants ?

Il est vrai que ces contestataires ne sont guère coopératifs… Il n’y a même pas de dirigeant ou de porte-parole que l’on pourrait interviewer, et à qui l’on pourrait faire dire plus ou moins ce que l’on souhaite ! Il faudrait un vrai travail de journaliste, qui soit un peu sociologue, un peu philosophe ; qui ait le sens de l’empathie, de l’ouverture d’esprit ; qui soit capable de vivre l’événement sans préjugés, sans objectif autre que celui de bien faire son travail. Reconnaissons que ce n’est pas donné à tout le monde.

NuitDeboutClamart

Et puis, comme l’a montré un collectif de chercheurs en sciences sociales, Nuit debout est un rassemblement plus diversifié qu’on ne le dit. Mais là aussi, il faut faire un travail sérieux pour dégager des données qui présentent un réel intérêt.

Ce ne sont pas seulement des jeunes, notamment en début de soirée. Ce ne sont pas seulement des nanti‑e‑s parisien‑e‑s, puisque ceux qui habitent Paris viennent plutôt de ses quartiers populaires, que beaucoup viennent de banlieue, voire même, pour un dixième, de province. Ce sont en effet majoritairement des diplômés, ce qui n’empêche qu’un cinquième d’entre eux est au chômage (c’est deux fois plus que la moyenne nationale) ; et le taux d’ouvriers qui participent aux Nuits Debout est tout à fait significatif. Ce ne sont pas vraiment des fêtards qui profitent de l’occasion pour se saouler à moindres frais, puisque le taux de ceux qui ont déjà appartenu à un parti politique ou à un syndicat est bien supérieur à la moyenne, et que ce sont majoritairement des militants associatifs.

Ce qui est intéressant, et surtout extrêmement positif, c’est la participation de citoyen‑ne‑s qui avaient déserté l’action politique, et notamment (mais pas seulement, donc) des jeunes. En ces temps où l’abstention est censée tellement désoler les partis au pouvoir, voilà qui devrait les réjouir ! Mais non, au contraire, cela les inquiète. Ils savent bien que ces contestataires ne voteront en grande majorité ni pour le Parti Socialiste, ni pour Les Républicains (parler du vote Front National, dont le PS et LR s’arrangent bien facilement, dépasserait le cadre de cet article).

On peut même se demander si nos représentants politiques ont compris quelque chose à tout cela. Les propos déplacés et méprisants du Maire de Clamart, le 8 mai dernier, comparant les Résistants qui avaient remis la France debout à certains qui « feraient mieux de passer leurs nuits couchés », montrent qu’il n’a rien compris à ce qu’était Nuit Debout. À Clamart Citoyenne, nous ne comprenons nous-mêmes pas forcément tout ce qui s’y passe, qui est très multiforme, mais nous essayons d’encourager ce mouvement, le seul novateur depuis bien des années (la comparaison avec Mai 68 est évidente).

L’état d’urgence a été décrété, puis prolongé, alors que, encore plus qu’à l’occasion du référendum de 2005, le décalage entre ceux qui décident et les citoyen‑ne‑s n’a absolument pas été mesuré par le pouvoir. Celui-ci n’a semble-t-il pas compris à quel point les Français‑es tiennent aux libertés individuelles. Dans le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, cela n’a pourtant rien d’étonnant.

Les Français‑es sont en droit d’exprimer leurs émotions. À la suite des attentats du janvier 2015, cette émotion a été encouragée. Puis interdite après ceux de novembre. Et là, à peine tolérée. L’émotion populaire ne serait donc légitime que quand elle coïncide avec les intérêts du pouvoir ? Il est vrai que la décrédibilisation des partis politiques, la crise institutionnelle et la perte d’espoir sont pour beaucoup dans ce phénomène nouveau qui, justement, redonne de l’espérance.

La réflexion et l’expression citoyennes sont littéralement méprisées. Que le pouvoir ait été élu démocratiquement est une chose. Mais quand il agit contre ses promesses, quels moyens ont les citoyen‑ne‑s qui, bien souvent, sont ceux-là même qui l’ont élu ? Il n’est dans ces conditions pas exagéré que le peuple, enfin, se révolte. Qu’un pouvoir « de gauche » réprime aussi violemment ce mouvement de fond en dit long sur sa déconnexion d’avec « son » peuple.

À Clamart, un Collectif pour le Retrait du Projet de Loi Travail, auquel participe activement Clamart Citoyenne, a déjà organisé trois Nuits Debout : le 3 mai place de la Mairie, le 13 mai place Aimé Césaire, et le 30 mai devant le marché de La Fourche. Il y a même eu un Lycée Debout le 25 mai, tant il nous paraît absolument essentiel que les jeunes prennent toute leur place dans ce mouvement, en attendant qu’ils en soient le moteur.

Ce n’est pas seulement parce que ce seront eux qui vont vivre dans le monde que nous construisons en ce moment. C’est aussi parce que, face au rouleau compresseur du libéralisme économique et de l’inconscience sociale et écologique qui va avec, nous avons besoin d’idées neuves, débarrassées des vieilles recettes qui ont toutes échoué.

 

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