Enquête publique – Quartier dit « Pavé Blanc – secteur I3F » – Paroles de Clamartois.e.s (3)
Il est procédé du lundi 22 mars 2021 à 8h30 au vendredi 23 avril 2021 à 17h30 inclus, à une enquête publique relative au permis d’aménager pour l’opération LE NÔTRE, projet d’aménagement du quartier dit « Pavé Blanc – secteur I3F », Place Georges Pompidou, route du Pavé Blanc et rue de la Porte de Trivaux à Clamart (92140), soumis à évaluation environnementale.
Cette étape importante du projet vise à recueillir les observations du public.
Vous pouvez déposer vos observations ici.
Observations de Jean-Claude Boussat
Monsieur le commissaire-enquêteur,
Je suis opposé à ce projet, critiquable sur tous les plans, économique, sociétal, environnemental et écologique.
En préalable il me paraît utile de rappeler les conditions dans lesquelles l’opération « Le Nôtre » a été décidée et présentée à la population de Clamart. La résidence dite « des 3F », qui comporte environ 700 logements construits au début des années 60, avait fait l’objet de travaux très importants, pour un coût de plus de 30 M€. Ces travaux commencés en 2000 ont été achevés en 2014. Ils étaient à peine terminés lorsque ont eu lieu les élections municipales. Les bâtiments avaient été isolés, les menuiseries extérieures remplacées par des fenêtres isothermes, les logements mis aux normes les plus récentes, tous les équipements, électricité, plomberie, ascenseurs refaits à neuf, les appareils sanitaires remplacés. Même avant ces travaux la qualité des logements etait déjà au dessus de la moyenne des logements sociaux. A l’époque où ces immeubles ont été construits une certaine qualité d’architecture tempérait encore le souci du profit des promoteurs. Les halls d’entrée sont vastes, ils offrent des transparences entre les façades. Les escaliers sont larges. Les logements clairs disposent de balcons. Des espaces extérieurs généreux et plantés, avec des aires de jeu, favorisent la rencontre et la vie sociale.
Lorsqu’à la suite du changement de la majorité municipale le Maire nouvellement élu annonce sa décision de détruire ces 700 logements, cette décision est vivement contestée. Une pétition circule, 70% des personnes interrogées se prononcent contre le projet. Malgré cette opposition la municipalité persiste et fait tout pour pousser les résidents à accepter sa décision. Les opérations d’entretien élémentaires sont abandonnées, les parties communes délaissées, les ascenseurs restent en panne. Des rongeurs font leur apparition, sans qu’aucune mesure ne soit prise : un résident témoigne qu’il y a « des souris jusqu’au dixième étage ». Les parkings ouverts sont occupés par des voitures étrangères à la résidence, les locataires ne peuvent plus garer leurs véhicules. Des propositions de relogement sont offertes à certains résidents mais dans des conditions parfois inacceptables (surfaces de logements plus petites, loyers ou charges augmentés …). Certains logements se vident. Les portes des halls d’entrée restent ouvertes et des personnes étrangères à la résidence se rassemblent dans les parties communes, un climat d’insécurité s’installe. Il suffirait d’assurer un entretien courant et de repeupler les logements vacants : il y a quelques milliers de demandes de logement sociaux en attente sur les listes de la commune.
Démolir c’est produire des déchets, dont la plupart ne sont pas recyclables. Reconstruire c’est consommer des ressources dont certaines, comme le sable, commencent à devenir rares, et de l’énergie que l’on s’évertue à nous persuader qu’il faut économiser. L’évolution du climat, la perte de la biodiversité, la crise sanitaire que nous vivons actuellement doivent nous alerter et nous inciter à rechercher les solutions les plus raisonnables et les plus économiques. De nombreuses expériences nous prouvent que des solutions existent pour améliorer le patrimoine bâti existant, je ne citerai ici que les travaux du cabinet d’architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, travaux qui ont été récompensés par le Pritzker Price. Ici il n’y a que très peu de choses à faire, et si certaines personnes prétendent que le quartier a besoin de rénovation, il ne suffit que de l’entretenir, pas de tout casser. Pourquoi ne pas faire appel à des équipes expertes de ce type de solution ?
Sur le plan humain, la décision de cette opération a été prise autoritairement, en dehors de toute concertation avec les occupants actuels des logements et de la population en général. On s’efforce de présenter cette résidence sous le jour le plus défavorable, et de laisser pourrir la situation en négligeant volontairement l’entretien. Néanmoins beaucoup de résidents souhaitent rester. On comprend que la plupart ne souhaitent pas changer de logement, ces familles habitant là depuis des décennies mais vont devoir quitter leur quartier, leurs commerçants, leurs relations. On leur propose des logements moins confortables, sans balcons, des pièces de moindres surfaces, parfois avec des loyers plus élevés. Est-ce acceptable ?
Sur le plan de l’urbanisme, le projet est aberrant. On se trouve en limite de commune, une transition transition douce existe avec les immeubles voisins de Meudon la Forêt. Pour passer de 700 à 1000 logements on va devoir densifier et accentuer la rupture. Ce sentiment sera aggravé par le caractère grandiloquent des constructions proposées. Le calcul du coefficient d’occupation du sol (notion rendue obsolète pour favoriser les intérêts des promoteurs, mais toujours significative) donne pour la première tranche de travaux, immeubles de Clamart Habitat déjà démolis, une valeur de 3,6.
Les auteurs du projet mettent en avant la présence des transports en commun, mais ceux-ci sont d’ores et déjà saturés, notamment par la densification exagérée des quartiers proches (Panorama, Grand Canal). Les équipements publics sont insuffisants pour répondre à l’augmentation de la population de ces quartiers , en même temps que les zones d’activité – donc les offres d’emploi – disparaissent. Le projet ne répond pas aux préconisations de rééquilibrage logement/activité telles que développées dans le SDRIF (schéma directeur région Ile de France). L’accroissement de transports ainsi induits, ajouté aux opérations énergivores de déconstruction et de reconstruction sera extrêmement générateur de gaz à effet de serre contrairement aux objectifs de la COP21.
Quant au caractère de l’architecture, les publicités des promoteurs font craindre le pire. Réduisant à la mission minimum le recours obligatoire à l’architecte (loi de 1977), ils imposent ce « style » qui est censé faire vendre et qui défigure toutes nos banlieues, cet étalage de décors pseudo XIXe siècle, mauvaises copies d’ancien en fausse pierre de taille. L’Architecture devient un art de mentir, exploitant au mieux l’ignorance des accédants à la propriété. En écartant les critiques sous prétexte que « des goûts et des couleurs ça ne se discute pas » ils nient toute reconnaissance du rôle éminemment culturel de l’environnement bâti. Ce serait risible et ridicule si l’on ne prenait pas en compte son influence sur l’ « image de la cité » (pour reprendre le titre de l’ouvrage de Kevin Lynch).
Pour le Clamart de demain , que désirons nous ? ces tourelles et clochetons échappés de Disneyland ou une ville verte et ouverte vers l’avenir ? De mauvaises copies d’ancien saturées de matériaux isolants issus de la pétrochimie ou des réalisations contemporaines, végétalisées et respectueuses de la nature ?
Pour toutes ces raisons j’estime que la réalisation de ce projet est contraire à l’intérêt général, et vous demande, Monsieur le Commissaire Enquêteur, d’émettre un avis défavorable.
Jean-Claude Boussat
Architecte honoraire
En annexe : photographies de la résidence, avril 2021
Je veux aussi dénoncer cette appellation « Le Nôtre », véritable escroquerie intellectuelle sciemment exploitée par les promoteurs et les décideurs de ce projet. Leurs présentations, en se référant à Le Nôtre et à la perspective qu’il avait établie dans la forêt de Meudon, et en l’associant à des images publicitaires censées vanter leur architecture néo-classique, entretiennent dans l’esprit du public l’illusion d’accéder à une qualité supérieure, à une sorte d’aristocratie du logement. Sans doute ils ont peut-être même oublié que Le Nôtre était jardinier, et non pas architecte, mais que lui au moins avait du talent et une culture classique qui fait leur fait tant défaut.
Quant à la grande perspective, je ne la retrouve guère. Juste une perspective de profits juteux pour les promoteurs.